La pierre de Schrödinger

Les règles du Go sont mathématiques, et il arrive aux mathématiciens d’être confrontés à des singularités pour lesquelles il faut faire des exceptions.

Au Go il y en a une, le ko [qu’au] :

Mais qu’est-ce donc que le ko ? Ici vous pouvez en voir 2, regardez bien, la question est : « où est le problème ? »

A priori, la seule chose de remarquable est que la pierre blanche en D3 n’a qu’une seule liberté. De même pour la pierre noire en J1.

Point de vocabulaire : n’avoir qu’une liberté s’appelle être en atari, que ce soit pour une pierre seule ou un groupe de pierres, ce n’est pas propre au ko. Être en atari signifie que l’on court un risque de capture immédiate.

Dit comme ça, ça n’a rien d’exceptionnel, mais concentrons nous sur D3 et imaginons que ce soit à Noir de jouer, que ce passe-t-il s’il décide de capturer cette pierre blanche ?

Et bien il se passe que la pierre noire qui vient d’être jouée (E3), se retrouve elle même en atari. Et peut donc être capturée à son tour :

Le problème est qu’une fois capturée, on se retrouve dans la même situation qu’au coup précédent… En l’état, Noir peut à nouveau capturer la pierre blanche, Blanc pourra à son tour capturer la pierre noire de nouveau, et ainsi de suite jusqu’à la prochaine fin du monde. C’est cette situation que l’on appelle un ko, mot japonais faisant référence à l’éternité.

Vu comme ça, on n’a pas plus de solution pour sortir d’un ko que pour diviser par zéro. En conséquence de quoi, on applique le même principe : le coup est interdit ! Mais pour seulement un tour.

Concrètement la règle du ko est la suivante :

« Il est interdit de remettre le goban dans la même configuration qu’au coup précédent ».

Nous arrivons donc dans une situation où le statut d’une pierre change d’un tour sur l’autre, une fois vivante une fois morte, ni l’un ni l’autre mais les deux à la fois.

Et de même qu’on le ferait avec un chat dans une boite, le seul moyen de connaître l’état de la pierre est d’ouvrir la boite, c’est à dire, de jouer la partie. Imaginons par exemple ceci :

Ici une fin de partie sur un goban 7×7, Noir a le bord gauche, Blanc a le bord droit, les territoires ne sont plus attaquables, reste un différent entre les joueurs, la pierre E1 est en atari, et c’est à Blanc de jouer, est elle vivante ou morte ? :

Blanc capture E1, ce qui lui rapporte 1 point de plus, puisque ça fait un prisonnier de plus. Et Noir ne peut pas rejouer en E1 à cause de la règle du ko. Il doit attendre un tour, mais le risque est que pendant ce tour Blanc joue lui même E1 pour connecter sa pierre D1, ce qui la rendrait imprenable, on dit fermer le ko.

Le problème de Noir est donc de trouver un endroit où jouer qui forcerait Blanc à répondre autre chose que E1, on appelle ce genre de coup des menaces de ko. Et justement il en existe dans cette partie :

En D6, (mais ça aurait également fonctionné avec D5, E4 ou E7), l’idée pour Noir est de proposer un échange inacceptable à Blanc :

« -Si tu joues en E1 pour sauver ta pierre, alors très bien, je jouerai D5 pour te capturer C5 et C6, (ou même E7 pour capturer D7), à toi de choisir, puisque c’est à toi de jouer. »

Évidemment, comme Blanc a beaucoup plus à perdre en haut, il ne va pas protéger D1, ce qui va donner l’échange suivant :

Blanc, pas fou, joue D5 pour capturer D6, ce qui laisse à Noir la possibilité de jouer E1 pour capturer D1.

Comme il y a eu un changement quelque part sur le plateau, Noir a pu reprendre le ko.

Et maintenant, la règle du ko joue contre Blanc, qui n’a pas le droit de rejouer D1 tout de suite. Le problème pour Blanc est alors de trouver une menace de ko, mais il n’en a pas. Et comme il n’y a plus de coup intéressant, il n’a plus qu’à passer. Noir peut alors finir le ko :

Voilà la partie terminée. Blanc, passe à nouveau, Noir fait de même. On se rend compte que la pierre noire E1 était finalement bien vivante. Les joueurs comptent les points.

Alors on peut peut-être se demander l’intérêt de sacrifier une pierre pour reprendre une pierre. Si Noir n’avait pas repris de Ko, Blanc aurait eu un prisonnier, là Noir a bien un prisonnier, mais Blanc en a 2, autrement dit, toujours un de plus. Alors pourquoi ?

L’astuce de cette menace de ko est que la capture de D6 n’apporte pas de point à Blanc ! Car la pierre blanche D5, qui a capturée D6, a également réduit le territoire de Blanc, et lui fait donc perdre 1 point en même temps qu’elle lui fait gagner un prisonnier.

Je répète : l’échange de cette menace de ko a une somme nulle, Noir a bien sacrifié une pierre qui devient un prisonnier. Mais en obligeant Blanc à jouer dans son territoire, il lui a également fait perdre un point, et +1-1=0.

Si on résume tout, Noir a 1 prisonnier, Blanc en a 2, mais Blanc a également perdu un point de territoire. Le score est donc inchangé. La stratégie de Noir a empêché Blanc de gagner un point supplémentaire. C’est donc une bonne séquence pour Noir.

Cela dit, la partie est quand même remportée par Blanc, car si vous regardez bien, son territoire est plus grand. Certains combats de Ko parviennent à inverser le cours d’une partie, mais pas tous.

 

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