Commencer une partie.

Après plus de 4000 ans d’histoire, les recherches effectuées par les générations successives de joueurs de Go vont me permettre de vous expliquer comment ne pas rater votre premier coup. On pourra même envisager comment ne pas complètement se planter au deuxième ! Pour Blanc et pour Noir, 2 coups chacun ça fait quand même 4 coups. Et croyez-le ou non, quand on regarde les parties de ceux qui n’ont lu que les règles avant de se lancer, 4 coups sans se tromper c’est déjà énorme.

Malheureusement, il ne me sera pas vraiment possible d’aller beaucoup plus loin. Les recherches sont en cours, je vous donnerai quand même quelques pistes, mais dans l’ensemble, vous ne pourrez compter que sur vous-même. Certes, au début vous allez prendre cher être un peu perdu, mais c’est en s’en prenant plein la figure par l’expérience que l’on progresse au Go. Et il ne faut pas s’inquiéter plus que ça, on verra qu’il existe une variante des règles pour compenser l’écart de niveau en donnant de l’avance au joueur le plus faible, ce qui lui permet de voir venir la défaite d’apprendre progressivement. De plus, vos premières parties seront à peine terminées, que vous pourrez déjà jouer contre plus débutant que vous ! Il vous sera alors possible de vous venger transmettre l’héritage pluri-millénaire de cet art asiatique. On va bien s’amuser 🙂

Premier point

Un goban standard compte 19 lignes sur 19. Soit 361 intersections. Ce qui voudrait dire qu’il existe 361 façons différentes de commencer la partie.

Et bien déjà ça c’est faux, ou du moins on peut relativiser. Car un goban a plusieurs axes de symétries, au final il n’y a que 55 façons différentes de commencer la partie :

Par symétrie, il est possible de faire correspondre n’importe laquelle des intersections du goban à l’une des intersections marquées d’un triangle.

Notez que ça ne vaut que pour le premier coup, voire le 2ème si le premier est joué en K10 (au centre), ensuite le goban va progressivement perdre ses axes de symétries.

Note : le point K10 est appelé le tengen [taine-guaine], ce qui peut vouloir dire soleil ou origine du ciel. Les 8 autres points marqués (D4, K4, Q4 etc) sont appelés hoshi ce qui veut dire étoile. Fin de note

Deuxième point

Le Go est un jeu de territoire. Le but du jeu est d’obtenir plus de territoire que l’adversaire. La question sera donc de savoir quel est l’endroit où jouer pour qu’une pierre fasse le plus de points possibles, pour y jouer avant l’adversaire !

La réponse est : dans les coins ! Démonstration :

Regardez ces territoires. Ils ont la même taille, 9 points. Par contre, en fonction de l’endroit où ils sont situés, ils ne nécessitent pas le même nombre de pierres.

Dans le coin il suffit de 6 pierres, sur le bord, il en faut 9, et au centre 12. Il est donc vivement conseillé de commencer par les coins. Car c’est dans les coins que les pierres sont les plus rentables. Une fois les coins occupés, le deuxième choix est de s’étendre sur les bords, et pour finir on vise le centre. Un proverbe chinois résume bien l’idée :

«  Le coin est d’or, le bord est d’argent, le centre est un jardin public « .

Ce qu’il faut comprendre c’est que le bord est notre allié ! Il peut travailler avec les pierres qui lui font face pour faire du territoire plus rapidement.

Après il faut aussi se dire que ceci n’est que « le coté yang du Go », la construction. Le « yin » nous dira que la priorité est d’empêcher l’adversaire d’obtenir un coin, de restreindre le plus possible ses extensions sur les bords, et de l’empêcher de dominer le centre.

Sachant qu’il est impossible de tout obtenir, il vous faudra faire un choix, regarder le goban et décider si du yin ou du yang lequel sera le plus à même de vous servir.

Mais avant d’en arriver là, il nous reste une question en suspend. Le bord est notre allié car il joue pour nous. Mais jusqu’à quel point ? Car il est également l’allié de l’adversaire. Il est donc important de savoir jusqu’où on peut lui faire confiance.

Troisième point

Faire un territoire, c’est faire 4 murs, un en haut, un en bas, un à droite, un à gauche. Qui seront plus ou moins droits selon les aléas de la partie, mais dans l’idée il faut 4 murs. D’ailleurs dans les ouvrages pédagogiques du Go, on utilise parfois la métaphore « faire sa maison » pour dire « faire son territoire ». Ça connote que la maison est un endroit sûr, on est chez soi, les pierres ne risquent plus rien. Construire sa maison veut dire en même temps, faire des points et mettre ses pierres en sécurité.

Remarque 1 : en pratique on commence par 2 murs que l’on essaie d’allonger le plus possible, c’est à dire on les fait grandir jusqu’à rencontrer l’adversaire. Mais attention, pour faire du territoire il faut que ces murs soient parallèles. Deux murs perpendiculaires créaient une zone d’influence, avec un territoire potentiel mais pas encore concrétisé ! Que l’adversaire pourra essayer de neutraliser, illustration :

-> 2 murs parallèles font déjà des points :

-> si l’adversaire tente envahir, il ne pourra pas se sauver :

-> 2 murs perpendiculaires créé une zone d’influence, un potentiel qui pourra devenir un très grand territoire,  mais pour l’instant très peu de points concrets si on le compare aux lignes parallèles :

-> car l’adversaire peut envahir et réduire le potentiel :

Les deux stratégies existent, territoire ou influence. Aucune n’est meilleure que l’autre. C’est plus une question de goût. La stratégie du territoire cherche à faire points tout de suite, celle de l’influence prend le risque d’en faire plus tard, mais en très grande quantité. Chacune a ses avantages et ses inconvénients, on va y revenir (un peu plus bas, par la suite, pendant plusieurs années). Fin de la remarque.

 

Reprenons. On vient de voir précédemment que les bords sont des murs déjà présents sur le goban, et pouvant être utilisés par les deux joueurs pour construire leurs territoire plus rapidement.

La question qui reste est celle de la distance. Si je joue proche d’un mur, je suis très solide, mais je ne fais pas beaucoup de point. Pour faire des points je dois m’éloigner du mur, mais si je joue loin il y a un risque que l’adversaire s’interpose entre mes pierres et mon mur. Et si le mur devient l’allier de l’adversaire, ses pierres pourraient vivre, ce serait une catastrophe car tout mon territoire serait perdu.

Pour essayer de mieux visualiser, on va prendre une chaînes de 3 pierres et essayer plusieurs distances.

Remarque 2 :  Ici nous arrivons aux limites de ce que l’on peut expliquer avec des illustrations. Si vous ne comprenez pas tout, c’est normal. Car pour comprendre ce qui suit, le seul moyen est de l’essayer, c’est à dire le jouer dans des parties réelles. Croyez-moi sur paroles, essayez, et il ne vous faudra pas longtemps pour arriver aux conclusions que

  1. effectivement ça marche
  2. en fait non ça marche pas
  3. d’accord disons qu’il y a des exceptions
  4. sur certaines parties, les exceptions c’est un peu la règle.

Et tout de suite ça commencera à vous paraître plus clair. Fin de la remarque.

 

Le cas numéro 1 : 3 pierres sur la première ligne.

C’est certainement la façon la plus inefficace pour faire du territoire. Déjà dans cette situation les pierres n’ont que 5 libertés, ce qui est le meilleur moyen de se faire capturer, et surtout elles ne font aucun point !

Ces pierres ne font qu’une influence sans réel intérêt car l’adversaire n’aura aucun mal à neutraliser :

Ici la pierre blanche supprime les possibilités de développement des pierres noires sans prendre aucun risque (si l’on suppose qu’elle dispose de tout le goban derrière elle pour se sauver). En fait, c’est tellement une mauvaise idée de jouer sur la première ligne, qu’elle est appelée la ligne de la mort. On y joue généralement en dernier pour fermer les territoires en essayant de grappiller les derniers points qui peuvent traîner sur le goban.

Le cas de la ligne numéro 2

Comme on ne peut pas faire pire que la ligne numéro 1, la numéro 2 est forcément mieux. Elle fait un peu de territoire, c’est toujours ça. Les pierres seront plus difficile à tuer, elle peuvent même vivre si elles s’étalent suffisamment. Mais c’est une ligne qui manque quand même d’ambition.

À première vue, la pierre blanche marquée d’un triangle est morte. Ce qui peut nous mettre la puce à l’oreille c’est qu’elle est sur la première ligne… C’est donc du territoire pour Noir ! Par contre, on peut aussi remarquer qu’au mieux, cette ligne ne rapporte qu’un point par pierre posée, ce qui est peu. Et de même que pour la première ligne, Blanc n’aura pas de mal pour écraser le potentiel de développement des pierres noires.

On l’appelle la ligne de la défaite, car même si elle ne se fait pas capturer, elle ne rapportera jamais assez de point pour apporter une victoire. Pour cette raison, on doit éviter de la jouer en début de partie.

Nous voilà donc arrivé à la 3ème ligne

C’est ici que les choses sérieuses commencent. La 3ème ligne est la ligne du territoire, car c’est la ligne qui est jouée par ceux qui choisissent la stratégie du territoire.

Ici aussi la pierre d’invasion (triangle) est morte, elle est peut être sur la deuxième ligne, mais elle est aussi en contact avec les pierres ennemies, ce qui ne lui laisse pas suffisamment d’espace pour être sauvée. Pour ce qui est de l’influence, pas de changement dans la forme, mais il commence a y en avoir sur le fond.

Car jouer une pierre pour neutraliser l’influence d’un groupe c’est bien, mais à partir du moment où ce groupe est sur la troisième ligne, ce n’est plus vers le centre qu’est son plus grand potentiel de développement mais sur les cotés. Autrement dit la pierre blanche est tout aussi efficace dans son rôle, mais elle fait beaucoup moins mal à l’adversaire, qui à partir de cette position, voudra en priorité s’étendre le long des bords et non vers le centre.

On peut y trouver une sorte d’équilibre. Le coup n’est pas méchant pour l’adversaire, puisqu’il lui laisse le bord. Alors on se dit qu’il faudrait mieux limiter l’adversaire sur le bord et le laisser s’étendre vers le centre. C’est possible, en fait dans cette situation il n’existe pas de réponse absolue, neutraliser l’influence et laisser le bord à l’adversaire peut littéralement être génial dans une partie et stupide dans une autre. Ça va dépendre des autres pierres déjà placées sur le goban, autrement dit, c’est à partir de la troisième ligne que l’on commence à vraiment jouer au Go.

Un peu plus loin, la 4ème ligne

Et nous voici donc arriver à la ligne d’influence. C’est également une ligne intéressante. À première vue, on dirait une erreur, mais elle cache quelque chose.

C’est une ligne qui ne fait pas de territoire, la raison est qu’il peut être envisageable de vivre sur la 2ème ligne. La pierre d’invasion en A a suffisamment d’espace, si elle a 2 directions pour s’étendre, Noir pourra en bloquer une, mais pas les deux. Et si l’invasion réussit, Noir ne pourra donc pas faire de territoire le long du bord. Et de même que précédemment, une pierre en B peut bloquer toute tentative d’extension vers le centre. Alors comment peut-on jouer cette ligne ?

En fait il faut avoir l’idée que Blanc ne joue qu’un seul coup à la fois, soit A soit B mais pas les deux. Le choix revient donc à Blanc, si il joue B alors Noir protégera un territoire sur la 4ème ligne qui sera plus gros qu’un territoire normale (puisque la normale pour le territoire est la 3ème).  Et si il joue A, alors Blanc devra se contenter d’un petit territoire sur la 2ème ligne, ce qui est pas trop mal, mais plus petit que la normale, et le temps que l’envahisseur mettra à stabiliser son petit groupe, pourra être utilisé pour développer un potentiel immense au centre.

La stratégie de la ligne d’influence demande donc beaucoup de subtilité. On commence avec l’idée un peu contre intuitive de ne rien prendre dans l’immédiat,  de laisser l’adversaire décider, en préparant le terrain de manière à obtenir un bénéfice quelque soit la solution choisie par l’adversaire. Ça demande de la pratique, ici plus encore, l’efficacité des coups dépendra de la position des pierres sur l’ensemble du goban, mais l’idée d’une situation où l’on est gagnant quelque soit la situation est très séduisante.

La cinquième ligne, et au delà.

La cinquième ligne est la dernière ligne que je commenterai. Je ne sais pas si elle a un nom vernaculaire, mais on pourrait l’appeler la ligne de la super-influence. On l’a rencontre très rarement en début de partie. Le problème est qu’elle est trop loin du bord. L’adversaire n’aura aucun mal à vivre sur la 3ème ligne en dessous. Et il ne va pas hésiter longtemps. Comme il pourra vivre sans réel difficulté, il risque d’avoir de la marge pour neutraliser également l’influence (jouer l’intérieur ET l’extérieur), ce qui serait une catastrophe. Mais ça se voit parfois, soit par des joueurs d’un certain haut niveau qui maîtrisent ce qu’ils font, soit chez les débutants un peu trop optimistes.

« Un coup n’est jamais bon ou mauvais, c’est la façon d’utiliser ses pierres qui est bonne ou mauvaise« 

Les lignes plus au centre sont anecdotiques en début de partie. Elles ne travaillent pas du tout avec le bord. Certains peuvent essayer pour s’amuser, mais je doute qu’elles aient été jouées en partie officielle dans l’histoire du Go. À l’exception peut-être du tengen. Le point central du goban est un début de partie peu conventionnel, mais qui existe.

Remarque 3 : Quand on dit qu’un coup existe, ça veut dire qu’il est joué ou a déjà été joué par des joueurs professionnels. Et qu’il a donc été jugé digne d’intérêt au moins à une époque. Les coups qui n’existent pas, sont ceux qu’on pourrait appeler des erreurs de débutants. Fin de remarque.

Pour conclure

Je rappelle que je cherchais à vous expliquer où jouer le premier coup. Si je résume :

  • il faut jouer dans un coin
  • il est préférable de jouer soit sur la 3ème ligne soit sur la 4ème

ce qui nous laisse 3 coups possibles sur les 55 du départ :

  1. hoshi (l’étoile). Sur la quatrième ligne à partir des 2 bords. C’est donc un coup d’influence, idéal pour ceux qui veulent se développer rapidement.
  2. les points 3-4 (en comptant à partir du coin), sous le hoshi, on les appel les komoku (mais ce n’est pas très important). Au croisement d’une 3ème ligne et d’une 4ème, c’est un mixte entre territoire et influence. Un bon choix pour les débutants.
  3. les points 3-3, dit sansan [sanne-sanne]. Le sansan est assez peu joué au premier coup. Orienté exclusivement territoire, il est imprenable mais son développement est souvent jugé trop lent. Point remarquable dans l’angle mort du hoshi, il est la voie royale pour l’invasion du coin quant l’adversaire commence justement par le hoshi.

Dernière chose, ce n’est pas dans les règles, mais la politesse veut que le joueur Noir commence par le coin nord-est (pour lui, ce qui correspond au coin sud-ouest pour Blanc). Rien n’est obligatoire, personnellement je ne m’offusque pas quand quelqu’un commence par un autre coin, mais c’est la coutume entre joueurs civilisés 😉

La suite bientôt, on parlera des bords

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