L’épreuve de l’interview, l’art de résumer en une phrase ce que vous voudriez expliquer dans un livre.
On a vu des journalistes, ils nous ont posé des questions, et de ces entretiens des articles ont été publiés. C’était intéressant à faire, et le résultat est assez sympa.
Ce n’était pas forcément gagné, il y a un ou deux ans, le club de Lille s’est retrouvé dans le journal au hasard d’une manifestation en plein air, et le résultat a été assez catastrophique. Beaucoup de confusion dans les propos recueillis, à la limites du contre-sens.
En ce qui nous concerne, je trouve qu’on s’en est plutôt bien sorti. Le seul soucis c’est la longueur des articles, un peu cour. C’était prévisible, nous étions interviewés pour illustrer le forum des associations, on ne pouvait pas s’attendre à une pleine page.
Mais le problème du jeu de go c’est que 75% des lecteurs ne savent pas que ça existe, 24% savent qu’il s’agit d’un « jeu chinois » car ils font des mots croisés ou du scrabble mais sont incapables de l’identifier, reste 1% qui connaissent quelqu’un qui a déjà vu des personnes jouer au Go. En fait c’était nous, des joueurs de Go à Arras dans un café, c’était nous, aucun doute.
Et donc c’est un peu frustrant, car on voudrait pouvoir tout leur expliquer à ces braves lecteurs, mais ça ne va pas être possible. À défaut on essaie de trouver le mot juste, de faire des phrases qui peuvent être comprises en dehors de la culture du jeu, mais ce n’est pas évident. Si je vous dis qu’une équipe de foot a marqué un but sur un corner, je n’ai pas besoin de vous expliquer ce qu’est un but ou un corner, a priori vous le savez, au pire, vous savez au minimum que vous n’en avait rien à faire du foot. Et bien si le foot était aussi connu que le Go, il faudrait commencer par vous décrire un terrain de foot et tout ce qui s’y passe, avant d’envisager de parler du score, sauf que ça ne serait pas possible car le nombre de caractère est limité à l’édition. Et pour rendre les choses encore plus drôle les journalistes sont souvent pressés.
D’où l’idée d’une sorte de communiqué de presse, histoire de faire gagner du temps à tout le monde.
L’histoire du jeu :
Le Go est apparu en Chine pendant l’antiquité. 3000 ou peut être 4000 ans, personne ne sait vraiment. La plus ancienne référence historique nous viendrait de Confucius qui en parlait il y a 2600 ans dans l’un de ses écris, mais le jeu existait déjà. Au cour des siècles il a fini par rejoindre les arts nobles à la cour de l’empereur (avec la calligraphie, le dessin, et la musique). Encore quelques siècles plus tard, il arriva à la cour de l’empereur du Japon où les samouraïs et maîtres de guerre le pratiquaient pour développer leur sens de la stratégie, et où les moines y trouvèrent un exercice propice à la médiation, ces derniers avaient obtenu l’autorisation exceptionnelle d’y jouer car le Go ne comprend pas de hasard.
Le premier tournant majeur pour le jeu fût la création au Japon d’une école de Go en 1612. L’école Hon-inbo, qui inventa un vocabulaire pour décrire le jeu, afin de faciliter son étude, et son enseignement. Au début du 20 ème siècle, le monde du Go pris sa forme moderne avec la création, au Japon, en Chine et en Corée du Sud, de ligues professionnelles.
Le jeu n’est finalement arrivé en France que dans les années 60. Et le nom ‘go’ nous vient du japonais, il s’agit du diminutif de ‘igo’ que l’on peut traduire « jeu de l’encerclement ». Dans sa Chine natale le jeu est appelé weiqi, et en Korée on le nomme baduk .
Actuellement il existe une fédération européenne qui regroupe l’ensemble des fédérations nationales, mais qui ne comportent que de joueurs amateurs. La création d’une ligue professionnelle européenne est à l’esprit de beaucoup de monde, mais ce n’est pas encore pour tout de suite.
Le jeu de Go
C’est un jeu de stratégie combinatoire abstrait (comme les échecs ou les dames). Il confronte 2 adversaires qui vont poser des pierres noires et blanches sur les intersections d »une grille. Les pierres posées ne se déplacent plus, mais peuvent être capturées par l’adversaire sous certaine condition. Avec leurs pierres, les joueurs dessinent progressivement des frontières, et à l’intérieur de ces frontières, des territoires. La partie s’arrête lorsque les 2 joueurs conviennent qu’il n’y a plus de territoire à conquérir. Le vainqueur est celui qui aura obtenu le plus grand territoire.
Pourquoi j’aime le jeu de Go ?
Une question qui m’a été posé et à laquelle je ne savais pas quoi répondre. C’est un peu comme si on m’avait demandé pourquoi j’aime le maroilles… euuuh parce que… c’est comme ça… c’est dans ma nature…. ce jeu m’amuse… mouais bref.
Ce que je peux éventuellement dire sur le sujet, c’est que je suis joueur, échecs, dames, abalone, othello, puissance 4, morpion… et bien d’autre, à partir du moment où il n’y a pas de dé ou de carte, il y a des chances que ça puisse m’intéresser. J’aime aussi les casses têtes, énigmes, les trucs du genres.
Et je trouve que le Go va plus loin que tous les autres, car sur une base très simple, il comporte une dimension que les autres n’ont pas, c’est un jeu de construction. On peut faire une analogie avec les légos. Le fonctionnement des légos est simple, les pièces s’emboîtent les unes aux autres. Maintenant, si vous filez une caisse de légos à un gamin qui n’en a jamais vu en lui disant qu’il faut empiler les pièces, il va mettre 2 légos ensemble, puis 3, 4, 10, 100 jusqu’à ce qu’il en ai marre, ce qui pourra arriver assez rapidement. Car pour que ce soit intéressant il faut avoir quelque chose à construire, faire parler l’imagination : une voiture, une maison, un château, un vaisseau spatiale, un pokemon. Là, il pourra jouer pendant des heures.
Et bien il y a un peu de ça au Go. Poser des pierres sur des intersections est à la porté de tout le monde, mais en soi ce n’est pas bien passionnant. Le jeu commence lorsque l’on construit quelque chose avec ses pierres, et là où ça devient vraiment prenant, c’est que l’on est 2 à jouer. Par contre, maintenant je suis un peu bloqué, car je ne peux pas vous expliquer ce que je construis, sauf si vous êtes un joueur de Go. Le seul moyen à ma disposition pour essaye de vous le faire comprendre, est de vous apprendre à jouer, c’est à dire de vous aider dans vos premières constructions, et puis progressivement de vous en expliquer d’autre, jusqu’à ce que l’on parle le même langage.
Qu’est ce que le jeu de Go permet de développer ?
Je ne me souviens plus de l’intitulé exacte de la question. C’était pendant le forum de association 2014, elle m’a été posée 2 fois, pas par des journalistes, et je me souviens avoir donné deux réponses différentes. Encore une fois difficile de résumer un univers en quelques mots.
Mes interlocuteurs étaient donc intéressés par les avantages, du genre « développement de soi » et/ou « renforcement cognitifs », que le Go permet de développer. On dit par exemple du jeu d’échecs qu’il améliore la mémoire et le sens des mathématiques. J’imagine que le Go doit bien avoir quelques qualités de ce goût là.
C’est pas faux. Déjà avec des 361 points de territoire, ses parties qui vont se jouer en 260-320 coups, et ses siècles d’histoire, le Go est assez propice à l’étude. Et pour ceux qui aiment apprendre des choses par cœur, il existe des livres d’ouvertures « classiques », les fuseki. Ainsi que des livres de joseki, des séquences locales jugées équilibrées et qui comptent des centaines de variations. Après on doit reconnaître que même sans forcer, à partir d’un certain niveau, vous vous surprenez à être capable de rejouer intégralement des parties le plus naturellement du monde, c’est que ça doit faire du bien à la mémoire quelque part nan ?
Par contre, il y a quand même une grande différence avec les échecs, au sens où les échecs ne sont que mathématique, c’est d’ailleurs pour ça que les ordinateurs sont de très bons joueurs d’échecs alors qu’ils sont nuls au Go.
Le coté mathématique du Go est limité au combat. C’est à dire lorsque les pierres blanches et noires sont en contacts et menacent de se capturer mutuellement. Dans ce cas là, la profondeur de lecture du jeu est purement mathématique. Au Go, on appel ce niveau d’analyse du local. Et il s’oppose naturellement au global, qui correspond à la vision d’ensemble du jeu. Ici les ordinateurs décrochent ou prennent feu, les possibilités de jeux sont trop grandes, et la profondeur d’analyse est d’une toute autre science, plus sémantique.
On peut parfaitement jouer au Go sans s’amuser à calculer de longues séquences de coups. À titre d’exemple, les débutants sont facilement impressionnés par notre capacité à jouer des parties d’initiation en simultané 2, 4, 6, 8… aucune importance, c’est un leurre. En pratique, ces parties ne nous demande aucun calcule, on voit le coup à jouer aussi sûrement et immédiatement qu’un charpentier verra la résistance ou la fragilité d’une maison en chantier. Des connaissances simples, un peu de pratique, et l’œil n’a plus besoin de demander l’avis du cerveau pour dire à la main ce qu’il faut faire.
C’est part la philosophie du jeu global que le jeu de Go à obtenu ses lettres de noblesse, et qui ont fait dire aux chinois que la vie est une partie de Go dont les règles ont été inutilement compliquées.
À ce niveau, il y a une analogie qui marche bien, celle du dialogue, du débat d’idées entre deux personnes dans lequel la logique des propositions sera mise à l’épreuve. Le Go à quelque chose de rhétorique, les coups joués ont un sens ou sont absurdes, et vous êtes amenés à les choisir comme l’on choisi un argument dans un débat. Il faut faire preuve de discernement, ne pas être arrogant, tenir compte de la position de votre adversaires, de ses compétences, de ce qui a été dit. Éviter les hors sujet pour garder le contrôle de la partie et amener le débat vers la victoire. Il faut savoir construire un argumentaire pour défendre ses propositions avec force et cohérence. À l’inverse, attaquer le territoire de l’adversaire demandera de la légèreté, il faut apprendre à lui « tendre la perche » pour trouver la faille dans ses propositions et lui voler quelques points de légitimité.
Et c’est d’ailleurs lorsque l’on parvient à donner un sens à tous ses coups, que l’on commence à être capable de retenir une partie, exactement comme l’on retient un récit.
Jeu de stratégie, pour gagner il faudra réussir, dans le brouhaha des possibilités, à cacher vos intentions au nez de votre adversaire, tout en cherchant à deviner la sienne. Le jeu vous apprend à vous adapter aux forces en présence dans l’environnement, faut-il leur résister, les esquiver, proposer un échange, une frontière ou simplement ignorer et jouer ailleurs.
En terme de développement personnel, le Go est un socle de la pensée asiatique, il est important de régulièrement remettre en question ce que l’on a appris. Car dans bien des cas il n’est pas possible de démontrer qu’un coup est bon, on le jouera donc jusqu’à ce qu’un adversaire plus fort vous apprenne en quoi il est mauvais. Autrement dit, le joueur de Go qui veut s’améliorer se montre reconnaissant dans la défaite et humble dans la victoire.
Est ce que le jeu est adapté aux enfants ?
Alors là, trop facile. D’abord c’est un jeu très visuel, avec une marge de manœuvre immense. Et que sont les enfants si ce n’est que paires d’yeux avec une imagination débordante. Chacun y trouvera un niveau d’analyse qui lui correspond. Alors les enfants auront du mal avec certain niveaux d’abstractions, et plus ils seront petit moins il seront capables d’anticiper les coups à venir. Mais peu importe, la seul chose qui compte est d’en avoir deux qui veulent gagner.
Dans l’idéal il ne faudra pas que ce soit toujours le même qui gagne pour ne pas dégoutter le perdant. Pour ça, il existe un système de handicap, en donnant des pierres d’avance au joueur le plus faible, on peut rendre n’importe quelle confrontation intéressante.
Pour ce qui est de l’age minimum, j’ai déjà fait des initiations avec des enfants de 3 ans, nous ne sommes pas allé bien loin mais ils étaient déjà très contents de capturer des pierres. Après il ne faut pas trop en demander, en temps ou en complexité. Mais c’est aussi une question de comportement, j’ai vu des enfants de 10 ans fuir le jeu comme si on leur proposait d’aller à l’école le samedi après midi. Il faut dire que ça demande un minimum de concentration, de curiosité ainsi que le goût du défis. Et ça ne trouve pas chez tout le monde. À noter que l’AGA n’accepte les enfants qu’à partir du CE2 essentiellement pour des raisons de maturité et d’autonomie liée une ambiance de club pas spécialement dédiés à l’accueil des enfants. Après si des enfants plus jeunes accompagnent leur parents, pourquoi pas.
L’enseignement du Go est une discipline en soi, il faut parvenir à trouver le niveau de compréhension de l’élève pour lui fournir l’explication qu’il comprendra et qui lui permettra d’aller plus loin. L’idéal est de parvenir à le faire dans une vrai partie plutôt qu’avec des mots. La maîtrise du jeu vous amène à comprendre celui de votre adversaire pour chercher en prendre le contrôle. Plus la différence de niveau sera grande, plus ce contrôle sera important, libre à vous de l’utiliser à fin d’améliorer le jeu de votre adversaire. Il ne s’agit pas ici d’être gentil de manière à ne pas écraser votre adversaire, ce qui est une attitude plutôt condescendante et finalement peu profitable. Mais de s’arranger pour que la forme de la partie le confronte à une situation qui l’oblige à remettre en cause ses connaissances pour lui permettre d’acquérir une nouvelle vision… le tout en faisant attention de ne pas l’écraser.